Côte d’Ivoire -Travail des enfants : l’émouvante histoire de Aïcha

Le travail des enfants en Côte d’Ivoire est un phénomène à la carapace dure. Le cas de la petite Aïcha (photo), qui « travaille »  au Carrefour Opéra sis au II Plateaux-Adjin dans la commune de Cocody-Abidjan pour aider sa mère en difficulté, est édifiant. Au mois d’octobre nous l’avons rencontrée et elle nous raconte son histoire.

Il était 17 heures ce jour là, le soleil disparaissait derrière l’horizon et on pouvait voir sur le sol les ombres de ces braves gens pressés qui rentraient du travail, tentant d’éviter le monstrueux embouteillage  à ce niveau du boulevard Latrille. On pouvait aussi voir et esquisser un sourire celles des personnes, de ces vendeurs ou travailleurs ambulants pour qui l’heure de la descente n’avait pas encore sonné, que la boule orange dans le ciel reflétait sur le sol encore brulant après un geste maladroit à la suite un klaxon inattendu de véhicule au démarrage. Pour ces travailleurs ambulants, l’embouteillage est une aubaine. Parmi eux, cet enfant ; Aïcha !

De sa main frêle d’enfant d’une dizaine d’années environs, Aïcha a saisi et s’est agrippée à ma veste avec une fermeté et une détermination désarçonnantes qui m’obligèrent à marquer un arrêt, la tête dans les nuages. Je n’arrivais à réaliser ce qui se passait à l’instant ! Sorti de mon émotion à t+1, je me retourne. Et là, de sa plus belle voix d’enfant pleine de vie, elle me dit : « Tonton, pardon donne-moi 100 francs ! »

Alors je prends le temps de l’observer, avant de lui poser quelques questions. Les cheveux mal nattés, vêtue d’un t-shirt de publicité sale qui fait office de robe (il lui arrive aux genoux), Aïcha m’apprend qu’elle parcoure chaque matin au réveil une distance de 3 kilomètres*. Avec le balai d’essuie-glace jaune qu’elle tenait à la main gauche, elle quitte le quartier Zoo d’Abidjan à pied pour le carrefour Opéra pour essuyer les pare-brises des automobilistes au  feu rouge, moyennant quelques pièces d’argent. Elle sollicite également l’aide des passants afin augmenter sa recette journalière.

« Je gagne souvent 1000, 1500 ou 2000 pour renter le soir. Quand je viens matin, je marche. Ma maman me donne 300 pour manger. Mais le soir, je prends taxi », m’a-t-elle fait comprendre.  

A la question de savoir à quoi servait cette somme d’argent, Aïcha répond que son gain va quotidiennement dans la tirelire  de sa mère pour une raison toute simple.

« Quand je rentre, je donne l’argent là à ma maman pour l’aider. Elle aussi, elle va les matins avec mon petit frère au marché », a-t-elle confié.

Sa mère, selon elle, travaille dans un marché en tant que vendeuse et n’a pas suffisamment les moyens pour payer sa scolarité. Pourtant, pour cette rentrée scolaire 2015-2016, une loi rend l’école obligatoire pour tous et invite les parents à inscrire tous les enfants de 06 à 17 ans, sous peine de sanction. Des textes qui militent en faveur de la petite Aïcha qui chaque jour vient au « travail » avec beaucoup de résignation ; car quand nous avons abordé le sujet sur l’amour pour ce qu’elle fait, elle est restée muette, le doigt dans la bouche.  

En Côte d’Ivoire, selon le rapport d’enquête nationale sur la situation de l’emploi et du travail des enfants (ENSETE 2013) publié en août 2015, environ 1 424 996 enfants sont concernés par le travail des enfants à abolir, soit 7 enfants sur 10 économiquement occupés et un enfant sur 5 âgé de 5 à 17 ans. Parmi ces enfants, 64,3% le sont dans le cadre familial, en qualité d’aides familiaux. Et dans 4 cas sur 10, le travail à abolir est effectivement dangereux. En effet, sur les 1 424 996 enfants âgés de 5 à 17 ans qui sont astreints à un travail à abolir, 539 177 sont impliqués dans un travail dangereux (37,8%).

*Une  estimation objective de la distance qui sépare le carrefour Zoo à celui de l’Opéra.


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